Combien Renaud Lavillenie aurait-il sauté avec une perche en bambou ?

15 février 2014 : le record historique détenu par l’Ukrainien Sergueï Bubka depuis 21 ans en saut à la perche est battu par Renaud Lavillenie, un français – Cocorico !

6m16 !

Six mètres 16 !

… 616 cm, c’est haut !

… Très très haut !

… C’est comme sauter deux étages d’un immeuble ou d’une maison en somme…

Sans perche – complètement raw, comme on dirait en Force – le record est à 2,45 mètres chez les hommes.

2,45 mètres, c’est la hauteur du sol au plafond. Le plafond de mon salon, en sautant, je l’atteins moi aussi…

…du bout des doigts.

Mais pourquoi diable vouloir sauter plus haut avec l’aide d’un bâton souple ?!

Parce que cette discipline trouve ses origines dans la Grèce antique et en Asie, où le saut à la perche était utilisé comme moyen de locomotion pour traverser des ruisseaux, franchir des haies ou échapper à des bêtes sauvages à l’aide de longs bâtons rigides. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIème siècle que que le saut à la perche devient une activité gymnique. Les meilleurs sauts se situaient à cette époque autour de 2 mètres 50, presque le record actuel sans la perche (SIC !)

En 1905, Fernand Gonder – un autre Français, re-Cocorico ! – établit un record mondial à 3,74 m. En 1984, Thierry Vigneron, un autre français, re-re-Cocor…, afficha un nouveau record du monde à 5,85 mètres en saut en salle (oui, à la perche, il y a le saut en salle et le saut en plein air – le vent, l’orientation du soleil, la pluie influant sur les perfs – mais ça va, le public suit visiblement…). Aujourd’hui, les 6,16 mètres sont bien loin des premiers sauts à 2,50 mètres.

La réponse au titre de cet article , bien sûr, je ne l’ai pas. Je suis toutefois certain d’affirmer ceci, et personne n’en doutera :

Certainement pas 6m16 sans sa perche… en fibre de verre et de carbone de dernière génération. Mouarf !

Car ma bonn’ dame, « à l’époque », y avait pas l’matériel qu’i’z’ont maintenant…

Petit résumé de l’évolution de cette discipline dans ce reportage diffusé à l’époque dans le JT d’Antenne 2 (source INA.fr) :

Aux alentours de 4 mètres avec le bambou, les performances ont très légèrement progressé avec l’aluminium pour s’envoler au-dessus de la barre des 5 mètres depuis les années 60 avec l’apparition de la fibre de verre puis celle de carbone. L’explosion des records ne doit pas faire oublier le travail d’adaptation du geste, le rythme de la course, la hauteur de la prise sur la perche, le choix de la perche, etc.

Vue par un spectateur lambda, l’évolution des performances reste tout de même intimement liée au matériau des perches.

L’apparition de la fibre de verre scandalisa d’ailleurs les « anciens » à cette époque, qui voyaient en l’arrivée de cette catapulte cylindrique, une forme de triche, traitant ses utilisateurs d’ « acrobates ». La presse de l’époque n’hésitait pas à parler « d’affaire de la perche miracle ». Il est un peu facile d’imaginer le débat suscité entre les « novateurs », les puristes ou les réacs en faisant le parallèle avec celui que nous connaissons sur l’équipement d’assistance en Force…

perche triche

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Source (cliquer à chaque fois sur le titre) :
sciencessport saut à la perche évolution

Le titre de mon billet – volontairement racoleur – n’est pas anodin à l’heure où certains fustigent encore et toujours, en 2014, le matériel d’assistance en Powerlifting. C’était mieux avant, vous dit-on…

Aujourd’hui, avec un maillot de Force simple couche, la moyenne de gain se situe, selon le modèle, entre 15 et 25%. De rares athlètes parviennent à gagner davantage. L’association bandes de genoux / combinaison peut apporter plusieurs dizaines de kilos à un Squat.

Des dizaines de kilos sur un mouvement ? C’est énoôôorme ! Mais où est donc la performance de l’athlète dans tout cela ???!!! Réactions de néophytes, de personnes n’ayant jamais expérimenté l’équipement d’assistance et ses contraintes ou de commentaires qu’il est possible de trouver par exemple sur la page du groupe Force athlétique France sur Facebook, écrits manifestement « raw », sans correcteur orthographique 😉 :

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Comme la perche, l’équipement d’assistance de la Force athlétique a évolué et connaît ses vieux réacs détracteurs…

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N’en déplaise à M. Fulla (le vrai ou un simple troll ?) et ses références journalistiques, l’épisode de la Jacked – la combinaison flottante – est apparue 100 ans après la fondation de la FINA, la Fédération Internationale de Natation, qui a réagi relativement vite en la supprimant après que des records aient été battus grâce à celle-ci.

Pour le Powerlifting, les choses sont un peu moins simples puisque l’équipement tant décrié a été introduit plus vite que certains osent le prétendre : depuis les années 70 – pour les bandes de genoux – (pour rappel, l’IPF – la Fédération Internationale de Powerlifting- a été créé en 1972) et les années 80-90 pour les combinaisons et les maillots de Force. La raison de cet équipement était autre également : n’oublions pas que le Squat, Le Couché et le Soulevé de terre sont des mouvements répétitifs à l entraînement et lors de l’échauffement et s’achève sur une seule répétition en compétition avec des charges maximales comprises entre 90 et 100% du max (1 RM) de l’athlète. Ce matériel distribué par l’équipementier de l’époque, Marathon, était destiné à protéger l’athlète et non à améliorer les performances.

Petit extrait des Championnats du Monde IPF de 1983 – 10 ans seulement après le premier championnat du Monde officiel – dans lequel l’équipement (combinaison, bandes de genoux élastiques) est présenté à 0:14 mn – et où l’on se rend compte à 3:45 que la bretelle de la combinaison de Squat de Bill Kazmaïer résiste à être ôtée par un partenaire, puis un autre gars pourtant sacrément costauds… Nous sommes un peu loin du mythe des athlètes complètement raw ancré dans l’imaginaire de certains commentateurs des réseaux sociaux…

Face aux équipements actuels de Titan, Inzer et Cie, l’équipement Marathon, c’est un peu la perche en bambou des Powers finalement…

D’ailleurs, en regardant comment l’impressionnant Bill squatte 385 kilos, presque en fumant la pipe, combien pousserait-il aujourd’hui avec une Super Centurion et une paire de bandes made by Titan, à condition bien sûr qu’il les maîtrise ? Avec son 300 kilos au Couché Raw, et là c’était bien sans maillot de force, combien développerait-il à bout de bras avec une Low-cut simple couche ? Car le Monsieur en question est une référence, souvent pris en exemple pour les puristes : aucun artifice, que du NA-TU-REL ! C’était plus juste et c’était mieux avant, voyons, vous dit-on !

Enfin, pourquoi diantre vouloir soulever plus avec du matériel d’assistance ?

1 – Parce que ces trente dernières années, sur quarante ans d’existence, la discipline a évolué au niveau international sur la voie de l’équipé au détriment du Raw; tout comme les perches de bambou ont laissé leur place à celles en fibre de carbone. Il en a été de même ces dernières années en France où les minimas favorisaient les athlètes équipés. Les compétiteurs ont pris tout simplement le train qui a été mis en marche…

2 – Pour l’adrénaline et le côté « kick-ass ». En saut en hauteur, se renverser sur le dos à 2 mètres du sol est « un kiffe » pour les pratiquants. A 6 mètres, grâce à la perche, c’est un peu plus dangereux, une mauvaise réception ou un « retour piste » comme on dit dans le milieu et c’est le fauteuil roulant… et en même temps, c’est plus « renversant » à voir et certainement plus excitant pour les athlètes. Au Squat ou au Couché équipé, c’est un peu la même chose : Au delà de 100%, chaque kilo supplémentaire donne l’impression d’être multiplié par 2. C’est plus impressionnant également et non sans risque. Le palpitant s’accélère sous des charges supérieures de 25-30% d’un max. Après, il faut la force et la maîtrise technique pour valider l’essai.

3 – Pour le côté imprévisible d’une compétition. Garantir le tiercé gagnant est moins évident en équipé qu’en Raw car les bulles y sont un peu plus fréquentes et amènent leurs lots de petites surprises. Même certains de nos grands champions en ont fait l’amère expérience à un Championnat de France ou à une compétition internationale. Une descente insuffisante au Squat, la fatigue, une perte de poids trop importante, une erreur de préparation, un maillot mal placé ou des bandes trop ou peu serrées peuvent mener à une contre-performance qui peut être bénéfique pour l’athlète – vous, peut-être – qui se trouve juste en dessous dans le classement. Cela fait partie du jeu… si on en accepte les règles, les avantages et les inconvénients dès le départ, il est inutile de « déféquer » sur la discipline ensuite. Et si on ne concoure pas, ben euh… en bon gentleman, on respecte les athlètes.

4 – Parce que même si on met un peu plus lourd sur la barre, l’athlète est protégé et « encaisse » plus facilement l’effort. Demandez aux Masters qui continuent au-delà de 60 ou 65 ans ou aux anciens haltérophiles qui se reconvertissent dans la Force…

5 – Enfin, parce que, à l’instar du saut en hauteur et du saut à la perche, la Force avec et sans équipement d’assistance sont deux pratiques différentes, avec leurs spécificités propres. En s’élançant, le sauteur cherche à donner une impulsion très forte du pied alors que le perchiste – après avoir choisi sa perche – doit veiller à l’impulsion du pied mais également au piqué (le placement de la perche dans le butoir), puis le placement du corps lors du catapultage par la perche. Pour un squat équipé efficace, l’athlète doit apprendre à se servir de l’élasticité des bandes et gérer les contraintes liées à la mise en tension de sa combinaison. L’écrire ou le dire est plus facile que de le faire avec une charge à 130% de son max. Cela nécessite une technicité autre qu’avec un singlet en coton ou en lycra.

Finalement, quand on est véritablement passionné, Raw ou équipé, peu importe : du Squat, du Couché, du Soulevé de terre, pourvu qu’on ait l’ivresse… et l’honnêteté de préciser l’équipement utilisé, en situant son niveau par rapport à la branche officielle, faire le meilleur total, en validant un maximum de barres et avoir le plaisir de se retrouver localement – ou au niveau national et international par le biais des réseaux sociaux – autour du même événement, en évitant, si possible, de dire / écrire des âneries.

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