À corps ouvert, l’exposition qui fait débat

Petite précision : je classe cet article dans la catégorie « musées », à défaut d’en avoir une nommée « Expositions », mais surtout pas dans « Art ».

Comment justifier ma visite à cette exposition très controversée qui se déroule actuellement à Paris, dans le 9ème, à l’espace 12 Madeleine et qui présente de véritables corps et organes humains ?

L’exposition qui voyage à travers le monde a été visitée par déjà plus de trente millions de personnes. Après Lyon et Marseille, elle s’arrête donc à Paris et suscite toujours autant de vives réactions. La polémique vient évidemment du fait qu’il s’agit de vrais corps ou organes humains, provenant officiellement de personnes qui ont fait don de leur corps à la science. Je dis bien « officiellement » car une rumeur rapportant qu’il s’agirait de prisonniers politiques chinois court depuis des années. Du trafic de cadavres en somme. En faisant fi de la rumeur qui n’a jamais été prouvée, peut-on malgré tout exhiber au grand public des dépouilles mortelles ? Dans tous les cas, le musée de l’homme et la Cité des sciences de la Villette ont refusé d’accueillir ces spécimens.

Ces corps écorchés sont « les oeuvres » d’un médecin anatomiste allemand, Gunther Von Hagens, selon un procédé de son invention : la plastination appelée aussi « imprégnation polymérique ». Élaborée en 1977, cette méthode de conservation a révolutionné le monde médical en fournissant des sujets d’étude aux étudiants en médecine.

Malheureusement le « docteur Frankenstein » a depuis 1995 détourné sa découverte pour faire de cadavres écorchés de douteuses œuvres d’art.

« Cette exposition, qui se veut à la fois artistique et éducative, va littéralement «sous la peau» et dévoile les mystères de l’anatomie de l’homme ». Voici la façon dont est présenté l’événement : une approche artistique et éducative du corps humain. Alors, pourquoi cette visite ? J’aime visiter des expos, j’aime apprendre (ce qui n’est pas inutile quand on enseigne), il y a certainement une part de curiosité et puis je pratique un sport qui consiste à soulever de lourdes charges et je tenais à observer de plus près de vrais muscles, des tendons et la manière dont ils sont reliés au squelette, le système respiratoire et cardio-vasculaire qui sont régulièrement mis à rude épreuve pendant les entraînements et les compétitions. C’est bien de conduire une voiture de sport, mais il arrive un moment où l’on a envie de soulever le capot pour admirer le moteur, voir comment les différentes pièces sont assemblées et aussi en apprendre un peu plus sur cette fabuleuse mécanique qu’est le corps humain.

Pendant le trajet, un sentiment de culpabilité m’avait accompagné. Et si cette expo n’était ni plus ni moins qu’une vulgaire exhibition d' »œuvres » macabres de Von Hagens ? Rien que le nom du lieu déjà, l’Espace 12, qui me faisait penser à un bloc opératoire ou à la fameuse zone 51. Devant l’entrée, pas de file d’attente. Bizarre. Bon, il est 13h30 et les portes ne se sont ouvertes qu’à midi.

Finalement, en pénétrant dans le hall d’entrée, mon sentiment de culpabilité me quitte un peu. À l’intérieur, il y a pas mal de monde. Les gens viennent en famille, en couple, entre amis et surtout, ils sont « normaux ». Du moins, ils ont l’air « normaux ». Je m’acquitte du droit d’entrée et je prends un audioguide. La vache ! 15,50 euros + 5 euros !!! Ils écorchent même les portefeuilles !

La visite : Elle débute par une chronologie qui revient sur les moments-clés de l’histoire de l’anatomie. Je suis davantage soulagé : l’aspect scientifique et éducatif l’emporte largement sur le côté artistique. Mais la question demeure toujours : peut-on présenter au grand public des dépouilles mortelles même dans un but éducatif ? Léonard de Vinci a disséqué un certain nombre de cadavres, parfois dans l’illégalité pour éviter l’inquisition et parce qu’il n’était pas médecin, pour en tirer des dessins et autres croquis qui poseront les bases de l’anatomie scientifique. Jusqu’à maintenant l’observation de vrais corps était réservée aux étudiants en médecine. Pourquoi ne pas permettre au plus grand nombre d’accéder à ces observations. La lunette astronomique s’est démocratisée et aujourd’hui combien de gens, parfois des enfants, sont érudits dans le domaine des astres grâce aux lectures et aux observations ? Les temps changent et le domaine médicale s’ouvre maintenant à monsieur et madame tout-le-monde.

Ah, j’oubliais : les appareils photo sont interdits.

En face de la chronologie, se trouve un énorme caisson de plexiglas, long de cinq ou six mètres, à l’intérieur duquel s’alignent les coupes horizontales d’un corps humain. Chaque lamelle, d’une épaisseur d’un ou deux centimètres, présente successivement, tel un scanner IRM, l’intérieur des jambes, des bras, du tronc puis de la tête.

J’écoute deux étudiantes, en médecine peut-être, qui, comme moi, cherchent à identifier les différents organes : le foie, l’estomac, les poumons, le cœur qui, contrairement aux idées reçues, ne se situe pas à gauche mais au centre du thorax. Seule une protubérance se trouve à gauche.

Juste à côté se tient un autre corps, celui d’un homme, debout, dépourvue de sa peau. Dans l’audioguide, la voix d’un homme explique que les tendons d’Achille ont dû être sectionnés afin de permettre la station debout. La vision de cet homme anonyme, méconnaissable, au regard vitreux, est malgré tout assez dérangeante. Savait-il réellement, en donnant son corps à la science, qu’il serait exposé ainsi en public ? Officiellement, oui, mais cette question nous reste toujours en tête. Il règne un grand silence dans les différentes salles. En même temps, ce regard cireux ne dégage rien. Il manque quelque chose derrière ce regard : l’âme ? je ne suis pas croyant pour parler d’âme. Ce petit quelque chose qui suscite beaucoup de débat et qui, par son absence, donne à cet homme un air de mannequin. Le corps nous apparaît alors comme une simple carapace, une enveloppe.

L’exposition est divisée en six espaces mettant en relief les différents systèmes organiques qui régissent notre corps : le système musculo-squelettique, le système nerveux, le système uro-génital, le système respiratoire, le système digestif et le système cardio-vasculaire

  • Le système musculo-squeletique :
    Sans conteste la partie qui a attiré toute mon attention. Comme tout le monde, je n’avais observé d’écorchés que sur des planches anatomiques ou sous la forme de maquettes en plastique. Mais un dessin ou un modèle anatomique ne dévoilera jamais avec la même précision les quelques six cents muscles du corps humain.

    Certains modèles sont mis en scène : dans un coin, il y en a un qui tend un arc, ce qui donne l’illusion de voir les muscle du bras, des épaules, du dos contractés. À côté de lui, un autre se trouve sur un vélo. On distingue aisément tous les muscles de la cuisse : le vaste interne, le vaste externe, le couturier, les adducteurs, le droit antérieur, le biceps crural, etc. etc. Plus loin, un autre modèle, dont les muscles ont été détachés, à la manière d’une banane épluchée, pour laisser apparaître les muscles sous-jacents. Mon regard s’attarde sur le genou pour voir à quoi ressemble le tendon qui m’a empêché de squatter sérieusement pendant des mois.

    Un autre écorché présente différentes prothèses : une du genou, une autre de la tête fémorale, des plaques métalliques vissées sur la colonne vertébrale. Impressionnant et très intéressant.

    À quelques pas de là, dans une vitrine, on trouve un exemple de scoliose sous sa forme la plus aigüe, avec, bien entendu, une explication sur les causes de cette malformation.

  • Le système nerveux :

    La salle consacrée au système nerveux présente, en plus d’écorchés sur lesquels le réseau nerveux a été mis en évidence, des cerveaux complets, ou plutôt des encéphales entiers, des coupes de cerveaux présentant les différentes zones accompagnées d’un commentaire sur leurs fonctions respectives et la coupe d’un rachis entier laissant apparaître tout un réseau de nerfs dont le fameux nerf sciatique.

  • Le système uro-génitale
    Absolument pas excitant, j’avoue ne m’être pas trop attardé sur les vulves et autre pénis disséqués.
    Les fonctions des reins, de la vessie, de la prostate et de son cancer chez l’homme y sont aussi expliquées.
  • Le système respiratoire
    Je pense que cette partie va faire réfléchir plus d’un fumeur et plus d’un citadin à la vue de l’état de poumons grisâtres prélevés sur des sujets accros à la sucette à cancers ou ayant vécu dans des villes dont l’air est fortement pollué.

    Un autre moment fort mais très dérangeant : la peau d’un homme, avec sexe et poils pubiens, retiré de la tête aux pieds, étalée telle une peau de bête sous un caisson de plexiglas.

  • Le système digestif :

    Un nouveau corps est présenté en coupes longitudinales, laissant clairement apparaître l’œsophage, l’estomac, le foie, les intestins, le rectum. Chacun de ces organes sont ensuite présentés et commentés individuellement dans des niches vitrées.

  • Le système cardio-vasculaire :

    Dans cette dernière salle, des squelettes, couverts d’artères, de veines, de vaisseaux et de capillaires si fins et denses qu’on aurait dit une sorte de mousse végétale rouge, ont remplacé les écorchés. Le cœur, enfin, bénéficie d’une documentation très fournie.

  • Parfois dérangeante mais terriblement intéressante et fascinante, l’exposition à la qualité de nous montrer le corps humain tel qu’il est, fait d’os et de viande génialement organisés, et tel qu’il fonctionne. Nous sommes ces merveilleuses machines. Elle a malheureusement le défaut de ne pas être à la portée de toutes les bourses. N’y voyez aucun jeu de mots sur une quelconque partie du corps, vous pensez bien …

    Je quitte sous un magnifique ciel bleu ce que certains appellent, même sans l’avoir visité, « le musée des horreurs », pour me rendre…au Muséum nationale d’Histoire naturelle, à la grande galerie de l’évolution, où sont exposés des centaines d’animaux naturalisés. Comme quoi, l’homme, et sa sacro-sainte éthique ou morale, respectueuse de toute espèce vivante, reste finalement un animal comme les autres.

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