La séance à 10 euros

« Salut ! » m’a-t-elle lancé pour m’accueillir. J’ai répondu par un « bonjour » gêné par tant de familiarité; c’était la première fois que je la voyais puisque j’avais eu affaire à son collègue, le jour de ma première venue. Tout sourire, elle a parcouru les dix mètres qui nous séparaient pour me faire la bise, en complétant par un « tu vas bien ? » Moi, encore plus troublé : « Euh, oui… ». Bien sûr, comme son homologue masculin – qui, à mon grand soulagement, ne s’était pas aventuré à m’embrasser, je-le-précise – la demoiselle applique consciencieusement la « Planète-forme attitude » enseignée en formation express : tout-le-monde-se-tutoie, c’est-no-souçaï. « … En fait, je viens pour une séance unique, à 10 euros ». Pas de problème, car chez Planète forme, le tarif à la séance, aussi, c’est no souçaï… Ah oui, je venais d’entrer dans une salle de fitness pour aller m’entraîner, mais j’imagine que tu l’avais deviné.

Je m’acquitte du droit de m’entr… Pardon ? Pourquoi une séance à 10 euros alors que je m’entraîne déjà dans deux salles ? – parce que tu sais forcément que je m’entraîne dans deux salles – C’est simple : quand il part en vacances ou en déplacement, le force-athlétiste a un « léger » désavantage sur le joggeur pour maintenir un peu ses acquis : son nécessaire d’entraînement ne tient pas dans un sac. A défaut de très grands sacs solides pour pratiquer occasionnellement le Trois mouvements en vacances, j’ai choisi l’alternative des salles privées. La proximité d’une salle est d’ailleurs devenue depuis peu un souçaï critère pour choisir ma villégiature.

Je m’acquitte donc du droit de m’entraîner – refuse poliment le prochain cours de Body attack que l’hôtesse me propose – hum, point trop n’en faut – et je me dirige vers les vestiaires, au rythme de la musique techno-dance endiablée qui s’échappe de la salle de cours collectif. Une fois prêt, j’entre dans l’arène…

L’arène, c’est peu dire; « l’autre univers »…

Pas de plateau pour y faire du soulevé de terre puisque presque personne n’en fait. Pas de disques de couleur rouge, bleu ou jaune, signalant respectivement leur poids : 25, 20 et 15 kilos. 2 barres Olympiques, mais qui proviennent de cette fameuse chaîne de magasins de matériel de sport « A fond la forme ! », tout comme les poids – qui-ne-pèsent-pas-toujours-leur-poids. Pas de magnésie non plus, trop salissante et inutile puisque l’adhérent est équipé de ses précieuses mitaines. En revanche, on y trouve l’in-dis-pen-sable manchon cylindrique en mousse qui se pose autour de la barre, pour ne pas se faire bobo aux trapèzes pendant les demi-squats; les bancs de couché avec repose-pieds surélevé, également in-dis-pen-sables pour garder le dos bien plat comme l’a enseigné « le prof de muscu’ »; et puis, et puis… les énormes pots de protéINEs, créatINE et autres noms terminant en -INE en vitrINE, promettant un physique sec et musclé, comme ceux des.. magazINEs – et hop, une autre rime en -INE !

Tout le monde le sait, au Planète forme, comme dans d’autres chaînes de salles de remise en forme de France et de Navarre, on fait des abdos/fessiers, du Power barre, du body attack, de la salsa, du step, du biking, du cardio-training, du stretching et – je n’ai plus de rime en -ing (body building !) – on y soulève des poids.

On y soulève des poids pour se muscler un peu, améliorer sa forme, en complément d’un autre sport, s’entretenir, éliminer les petits bourrelets naissants ou disgracieux et s’occuper de soi, se détendre. Au Planète forme, on discute aussi. On discute de tout; ooohhh, pas de descente au Squat, pas de travail en stato-dynamique pour le Couché ou des appuis au Soulevé de terre. On ne parle pas non plus de Force athlétique puisque la plupart des adhérents ne sait pas ce que c’est. Et alors, forcément, on débat encore moins sur le bien-fondé des combinaisons ou autre maillot de Couché.
Au Planète Forme, comme dans d’autres chaînes de salles de remise en forme de France et de Navarre, on ne fait pas de « Couché », mais « les pecs »; A défaut de « Squat », on y fait « les cuisses ». Faites deux séances de Squat – de cuisses, pardon – dans la même semaine et vous passez pour un extra-terrestre… Pour passer inaperçu, travaillez les biceps ou les épaules.

J’ai, malgré tout, toujours été très bien reçu dans ces salles. Aussi, avec les séances à 10 euros, je commence à collectionner les anecdotes, comme cette petite salle qui reste, porte grande ouverte sur la rue, abandonnée chaque après-midi par son gérant, avec le matériel informatique et l’écran plat allumé à la portée de tous. Les quelques habitués, dont un accompagné d’un pitt-bull (!), vont et viennent s’entraîner sans surveillance en cas d’accident. J’y ai été accueilli, par l’un d’eux, incapable de m’assurer du retour du maître des lieux.

Plus récemment, dans le vestiaire d’un « Energie forme », un cousin du « Planète », un adhérent m’a demandé si les chaussures que je portais – des Ironwork III – étaient des chaussures pour le Squat. Dans l’affirmative, il a conclu : « C’est bien c’qui m’semblait; j’ai vu un gros, une fois, qui en portait… » Est-ce le « gros » ou le « une fois » qui m’a amusé, je n’en sais rien. Je n’ose imaginer ce qu’il aurait pensé s’il m’avait vu me tortiller durant dix bonnes minutes pour rentrer dans une combi…