Une nuit au musée

S’il y a bien UN événement culturel que je ne raterais pour rien au monde, c’est bien la nuit des musées.

Cette année je suis allé au musée du Grand Palais, à Paris. Au programme : l’expo sur la figuration narrative pour le plaisir de voir réunies les oeuvres d’un panel d’artistes que j’affectionne : Fromanger, Errò, Monory, … et une seconde expo avec les sculptures de Richard Serra, un artiste américain (bon, je fais mon malin en vous en parlant, mais je reconnais qu’avant cette nuit son nom ne me disait rien).

Pour la nuit des musées, il y a au moins deux types de visiteurs : ceux qui prévoient de visiter le maximum de musées au cours de la soirée (comme c’est gratuit, autant en profiter) en arrivant les premiers lors de la déclaration d’ouverture par le ministre de la culture et ceux qui, comme moi, tels des vampires, attendent la nuit tombée pour profiter de l’ambiance de l’événement et aussi parce que l’heure tardive donne à la visite toute sa singularité.

Il devait être 21h30 et autour du musée, c’était l’effervescence : la circulation était plus dense que d’habitude, des files d’attentes, qui n’avaient rien à envier à celles qui ce sont répandues devant les cinémas de France pour Bienvenue chez les ch’tis, étaient régulièrement alimentées par des gens venus seuls, en groupe ou en famille. Mais, sans faire de mauvais jeux de mots, il ne faut jamais se laisser impressionner par la longueur des queues car en moins de 20 minutes je me trouvais dans le musée.

Il était 22 heures passées et beaucoup de monde se pressait encore dans les salles gardées chacune très consciencieusement par deux cerbères en costume-cravate-talkie-walkie chargés de vous rappeler qu’il est interdit de prendre des photos à l’intérieur du musée.

Le temps est passé très vite et il était bientôt 23h30 ! Zut! Il fallait absolument que je m’en aille pour voir l’autre expo.

En passant par la librairie pour sortir, j’ai jeté un rapide coup d’oeil sur les oeuvres de l’expo, reproduites sur cartes postales et les fameux catalogues. Je regardais aussi les prix, et bizarrement la consigne des cerbères me revenait en tête: aucune photo ! En clair, si vous voulez une photo d’une œuvre, allez à la librairie. Bien sûr, les musées ont besoin d’argent pour acquérir des oeuvres ou proposer de prestigieuses expositions, mais quand même! Ce soir-là, les caisses marchaient à plein régime. Et puis aujourd’hui avec internet, on peut avoir les photos des œuvres que l’on souhaite. Mais des photos pour se souvenir de cette soirée ou témoigner de l’ambiance et donner envie aux gens de participer à cet événement ? Ben non, ça on ne le trouve pas en librairie, et c’est cet esprit mercantile qui me gonfle.

Allez, j’avais assez perdu de temps. Direction la nef du Grand Palais où je devais affronter une nouvelle file d’attente, mais moins importante celle-là. En cinq minutes j’étais à l’intérieur.

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La nuit avait couvert de son grand rideau sombre la verrière de la nef et l’immensité du hall ne permettait aux lampes halogènes de fournir qu’une lumière tamisée. Je guettais les sculptures monumentales depuis l’entrée, mais je ne voyais rien, à part les gens qui circulaient dans le vaste espace. C’est en avançant vers le centre que j’aperçus enfin les cinq impressionnantes stèles d’acier disposées comme des dominos. Des sons métalliques, étranges, tonnaient.

À mon grand regret, la mauvaise qualité des photos, à cause du manque de lumière, ne restitue pas l’athmosphère de cette visite nocturne.

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Perplexe, dubitatif, je me suis approché de l’un des gigantesques monolithes de 15 ou 20 mètres de haut, quatre mètres de large et d’à peine vingt centimètres d’épaisseur. Comme le scellement de ces époustouflantes plaques passait inaperçu, on avait l’impression qu’elles étaient fragilement posées en équilibre, défiant les lois de la gravité. L’angoisse d’une chute me traversait l’échine. Et si les bruits que l’on entendait étaient dû à un imperceptible vacillement des plaques ?

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Cette fois, j’étais conquis. La vision du public déambulant tranquillement, tel des fourmis, dans ce vaste espace au milieu de cette rangée de gigantesques dominos de plusieurs tonnes menaçant de tomber était complètement surréaliste.

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L’envie de toucher l’un de ces rectangles d’acier était trop forte.

Comme l’hominidé de 2001, odyssée de l’espace je me suis approché davantage de l’énorme mégalithe noir pour le toucher. Je m’attendais à ce qu’il soit froid, mais non, il était étrangement tiède. Presque tous les sens étaient en éveil : la vue, l’ouÏe, le toucher. Des gens se blottissaient contre ces géants de métal, collaient l’oreille contre la paroi pour entendre les moindres vibrations. C’était assez drôle, j’avais l’impression d’être devant le mur des lamentations. D’autres, enfin, s’allongeaient par terre pour apprécier un nouveau point de vue.

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Le point de vue, ah oui, je ne peux pas parler de ces sculptures sans revenir sur les différentes perspectives qu’elles offraient. L’apparence, la masse des plaques, l’espace variaient selon l’endroit ou l’on se plaçait. Je me trouvais justement sur la passerelle de la nef lorsque j’ai entrevu un lien avec notre vision du monde qui change selon l’angle d’où on l’observe. Je repensais alors à cette fameuse scène du cercle des poètes disparus, où Robin Williams fait monter ses élèves sur les tables. Peut-être aurais-je dû m’asseoir un petit moment au sommet d’une des plaques pour percevoir le monde sous un autre angle ?

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Sans m’en rendre compte, je m’étais déplacé sur toute la surface de la nef. Comment s’appelait cette œuvre au fait ? Ah oui, PROMENADE. Allez savoir pourquoi …

Et puis, à un moment donné, il s’est passé quelque chose de magique : les applaudissements d’un petit groupe de personnes ont spontanément contaminé l’ensemble du public présent qui s’est mis à applaudir à son tour. l’ovation raisonna dans le vaste espace vide, ce qui donna l’impression qu’une pluie battante s’abattait sur la verrière. Visiblement, je n’étais le seul à être séduit.

Il était maintenant l’heure de partir. Le musée fermait ses portes.

Ce soir là, j’étais venu voir en priorité l’expo sur la figuration narrative et dans le train qui me ramenait à Argenteuil, hébété, j’avais oublié Fromanger, Monory, Errò et les autres et je revivais mon expérience dans la grande nef et je refaisais mentalement la promenade. C’est ça la magie de l’art et de ses imprévus. Vivement l’année prochaine.

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