Un après-midi au Bourdelle

Paris regorge de nombreux musées. Bien sûr, il y a les incontournables : le Louvre, Orsay, le Centre Pompidou, le Grand et le Petit Palais, le quai Branly et j’en passe. Mais si vous avez l’occasion de vous balader dans le 15ième arrondissement, à côté de la tour Montparnasse, je ne saurais trop vous conseiller de visiter le musée Bourdelle. De plus qu’en dehors des périodes d’expositions temporaires, l’entrée du musée, comme celle des autres musées de la Ville de Paris, est gratuite. Alors, pourquoi s’en priver ?

  • Mais c’est quoi ce Bourdelle ??!!
  • Antoine Bourdelle a été le praticien d’Auguste Rodin avant de connaître la consécration en 1909 avec son célèbre Héraklès archer. D’ailleurs, l’ensemble de ses œuvres témoigne de sa fascination pour la mythologie grecque, et plus généralement pour l’Antiquité. À la fin de sa vie, celui qui fut aussi le maître de Giacometti souhaita léguer son œuvre, comme l’a fait son ainé Rodin, à la ville de Paris afin qu’elle soit conservée dans un musée qui porterait son nom. Depuis 1949, le musée Bourdelle est installé dans les appartements, l’atelier et les jardins de l’artiste.
    Pour exposer l’impressionnante collection de sculptures monumentales, le musée a été étendu en 1961 puis en 1992.

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    Si je vous parle du musée Bourdelle, c’est parce qu’il accueille jusqu’au 31 août 2008 une exposition d’œuvres d’Alain Séchas, un artiste français les plus en vue de la scène artistique internationale.

  • Séchas et ses chats
  • Séchas est un artiste qui s’inspire avant tout de la bande dessinée et du dessin d’humour. Sculpteur, dessinateur, peintre, il s’est fait connaître avec sa série de chats et de martiens auxquels il prête tous les caractères humains contemporains, les comportements sociaux, les angoisses, les fantasmes et les tares enfouis chez chacun de nous avec un certain humour noir.

    Alain Séchas, enfants gâtés (oeuvre non présente à l'expo).

    Alain Séchas, enfants gâtés (oeuvre non présente à l’expo).

  • La visite
  • Je commence par un premier point positif : on peut prendre des photos!!!
    Pour débuter la visite, je me rends dans le Hall des plâtres où sont rassemblées les oeuvres monumentales (en plâtre, forcément !) de Bourdelle. D’imposantes sculptures jalonnent le parcours de la visite dans l’immense salle lumineuse.

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    Toutes ces pièces sont aussi impressionnantes les unes que les autres, mais deux retiennent plus particulièrement mon intention : le fameux Héraklès archer, un des héros de la mythologie grecque, célèbre pour ses douze travaux, à travers lequel Bourdelle exprime, par sa posture, l’effort et la force pure et une autre intitulée … La force ! Je suis persuadé que ce cher Antoine se serait intéressé à la Force athlétique…

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    musée bourdelle 061 Bon, il s’agit là d’une allégorie.

    Au fond de la salle, trône l’œuvre maîtresse et unique sculpture de l’expo d’Alain Séchas qui s’inspire d’une autre fameuse statue de Bourdelle : Centaure mourant. Sauf que celle de Séchas est la version 2.0 (qui occupe la place de l’originale pour l’occasion).

    musée bourdelle 057 Voici le centaure, version Bourdelle …

    musée bourdelle 037 et voici le Centaure mourant 2.0 de Séchas

    Étonné, je m’approche davantage. J’essaie de trouver un sens à l’œuvre. Peut-être une sorte de prolongement du travail de l’ancien artiste, avec les restes de l’œuvre répandus au sol et reliés entre eux par des câbles et des barres de métal ?

    Je prends quelques photos puis j’emprunte l’escalier qui fait le tour de l’œuvre afin d’avoir des clichés sous plusieurs angles et trouver peut-être d’autres indices quant à sa signification. Au moment où je m’apprêtais à prendre une dernière image, j’entends un bruit étrange, comme le ronronnement d’un moteur électrique et là je vois, au travers de l’écran LCD de mon appareil, la sculpture qui se lève !!! Wow! Le con, sur le coup, j’ai eu la trouille !!!

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    On aurait dit un Transformer haut de trois mètres, avec les différentes parties du corps qui s’imbriquent les unes contre les autres. L’effet de surprise était d’autant plus efficace que je ne m’attendais pas à cela dans une galerie aux allures de temple antique peuplé de statues de plâtre et que je n’avais pas encore pris la peine de lire les deux petites pancartes placées, il faut l’avouer, en retrait de l’automate.

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    Bon, je n’allais pas faire le pied de grue pour voir le Terminataure (ou Terminotaure, pour rester dans la mythologie) s’étaler lentement de tout son long alors qu’il y avait le reste du musée à parcourir. Je décidai de repasser à la fin de la visite pour immortaliser en images la chute de la fameuse figure mythologique version 2.0, mais de face cette fois.

    Et là je vous entends : Ben et ton interprétation, David ??!!! ah oui! bah en gros, j’y vois là dedans tout d’abord … un hommage à Bourdelle et ensuite … le prolongement du travail du célèbre sculpteur par le mouvement pour exprimer (de façon dramatique ? humoristique ?) la lente agonie de l’homme-cheval et aussi un prolongement dans le temps, une sorte de passage de relais (les œuvres servant alors de témoin) entre les Anciens (les sculpteurs de la Grèce antique), les Classiques (ceux qui s’inspiraient des modèles esthétiques de l’antiquité et donc Bourdelle) et les artistes contemporains, qui ajoutent des éléments de notre société actuelle, avec les matériaux utilisés: le polyester, le moteur électrique, les câbles, les vérins et cette appellation sous la forme « 2.0 » si répandue aujourd’hui.

    Bien sûr, c’est bateau comme interprétation, on pourrait creuser davantage, mais j’ai le reste de la visite à vous présenter, hum !

    Pour continuer, je passe par l’appartement de Bourdelle, un « studio » de trente mètres carré, pas très éclairé, plutôt austère avec son poêle à charbon, ses statuettes, son christ crucifié fixé (cloué? pardon, c’est pas drôle) sur un des murs et son minuscule lit pour une personne.

    Ensuite, direction l’atelier de l’artiste. J’aime bien visiter les vieux ateliers plongés dans un silence immuable, regorgeant souvent de trésors, mais qui semblent encore occupés par l’ancien maître des lieux. Avec un peu d’imagination, on peut voir Bourdelle à l’œuvre.

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    Un rapide passage dans le jardin surveillé par les œuvres vues dans le Hall des plâtres, mais en bronze cette fois.

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  • Séchas, le peintre et le dessinateur
  • Dans les salles en enfilade qui sont situées au cœur du musée sont exposés plusieurs ensembles de travaux réalisés aux crayons, pastels, feutres et à la peinture acrylique. Certains sont en couleur, d’autres en noir et blanc. Et là, j’avoue que je ne sais pas trop quoi penser. Ces dessins ou ces peintures réalisés de façon improvisée me rappellent les toiles de Pollock, avec toutes ces lignes tracées dans un mouvement circulaire (en fait, c’est le support apparemment qui était en mouvement) et qui finissent par constituer un enchevêtrement de lignes libres dont le maillage très serré ne laisse presque pas entrevoir la couleur du support.

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    Girlie - Alain Séchas

    Girlie – Alain Séchas

    Ping, Pang, Pong - Alain Séchas

    Ping, Pang, Pong – Alain Séchas

    Critérium - Alain Séchas

    Critérium – Alain Séchas

    On retrouve ce que faisaient Basquiat ou Tapies et c’est justement ce qui me gêne. J’admire le travail de Pollock parce qu’il a bouleversé tout le protocole de la gestuelle artistique. Mais Basquiat et Tapies … eux, j’ai du mal. Je n’ai pas non plus les clés nécessaires pour comprendre la démarche de Séchas. Je ne sais pas où il veut nous emmener. On va m’expliquer qu’il s’est servi des lignes et des couleurs en prenant une liberté totale
    Sans vouloir tomber dans le discours de comptoir de café, je ne peux pas m’empêcher de dire que ce type de production est réalisable par le plus grand nombre d’entre nous. L’artiste, doit innover pour se renouveler, et c’est ce que fait Séchas en abandonnant ses chats et ses martiens. Rompre avec un style n’est pas évident. Mais ne cède-t-il pas à la facilité ? Même Picasso, que je considère comme le plus grand artiste du xxème siècle, a selon moi choisi la facilité pour réaliser un maximum de toiles à la fin de sa vie. Il est tellement plus facile et rapide de produire des œuvres improvisées que des travaux dont l’organisation, la structure, le choix des couleurs ont été judicieusement pensés. Séchas est un véritable artiste, j’en suis convaincu. Mais, ici, je n’adhère pas complètement. Je dis « pas complètement » parce qu’il y a malgré tout un je-ne-sais-quoi qui accroche le regard. Est-ce l’équilibre général des lignes ou des couleurs ?

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    N’avez-vous jamais négligé de prêter une oreille attentive à une chanson d’un de vos artistes préférés? Vous ne l’aimiez pas trop et il vous était arrivé, très souvent même, de passer au morceau suivant dès l’intro. Et puis, un jour, pour une raison quelconque, vous êtes amené à l’écouter en entier. Et là, il se passe quelque chose à un moment précis de l’extrait à cause du rythme, d’un instrument, des paroles auxquelles vous étiez resté(e) sourd(e) jusqu’à maintenant et qui, soudain, vous « parlent » et éveillent en vous une humeur nostalgique ou joyeuse. Il se produit exactement la même chose en peinture, en sculpture, en photographie, en architecture, en danse ou dans le cinéma.

    Souvenez-vous aussi de ce film que vous ne trouviez pas terrible pendant votre adolescence et qui aujourd’hui fait partie de vos œuvres cultes parce que vous avez été sensibilisé(e) à son propos ou compris les choix artistiques du réalisateur ? L’accès à l’art nécessite un minimum de savoir.

    Ma visite se termine avec le visionnage d’un reportage sur Séchas. Peut-être allais-je trouver des réponses ou des fragments de réponses ? Malheureusement, son contenu portait davantage sur sa période chats et martiens. Je vais devoir m’en remettre au temps. Car dans l’art, le temps a aussi son importance : La pyramide du Louvre avait fait l’objet de débats passionnés lors de sa construction il y a plus de vingt ans. Aujourd’hui, la fusion entre le Classique et le Moderne ne choque plus personne car elle est entrée dans les mœurs.

    Au fait ! en parlant de fusion entre le Moderne et le Classique, où en est mon Centaure mourant 2.0 ? S’est-il relevé ? Oui, il est toujours debout et pendant le temps de ma visite, il avait certainement dû mourir quatre ou cinq fois.
    D’ailleurs, vu comme ça, ne vous rappelle-t-il pas quelqu’un ?

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    crucifix-grandTu vois Alain, en ajoutant un moteur sous les bras de ton Centaure, et avec une résurrection toutes les trente minutes, tu t’attirais les foudres des catholiques les plus fervents ; ).

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